



21 mars 2020
Journal de confinement
Je viens de taper dans Google « temps de gestation chez les cygnes « parce que j’en ai vu un hier sur le canal, ils y viennent parfois et je me demandais si l’éloignement de la pollution pourrait repeupler les canaux de nouveaux cygnes.
Tandis que les humains disparaissent des rues, on voit un nombre impressionnant de canards sauvages repeupler les rives de la ville, ils se trouvent le ciel, dans les canaux, en groupe sur l’étang, ou postés par dizaine sur les rochers.
On voit les poissons au bord de l’eau et les premières pousses apparaissent sur les arbres, pendant que ce printemps promet d’être très différent des autres…

Aux arrêts de bus je croise une publicité qui dit « Et si vous quittiez tout pour vivre sur une île déserte ? », pas besoin de se poser cette question car nous vivons déjà sur une île devenue déserte…




Il y a une semaine le gouvernement annonçait la fermeture des bars et des restaurants et ce jusqu’à nouvel ordre… Sur le Cours, les terrasses ont été rangées, il ne reste que les parasols et des poubelles qui servent de bac à fleurs.
Le diplo, lui reste ouvert mais son bar est désormais fermé avec des tables qui entravent le passage.

Hier je suis allée faire quelques courses à Carrefour pour les quelques jours à venir et parce que je n’avais pas envie de tester les magasins un samedi de confinement.
Les toiles de Spiderman ont été retirées des caisses car ils ont enfin reçu les masques pour le personnel.
Devant le rayon boucherie entouré de film plastique, une vieille dame attend. Le boucher arrive, elle lui tend un paquet déballé qu’elle vient d’acheter. Elle lui demande s’il peut lui couper la viande car elle a oublié de demander et elle ne sait pas faire toute seule. Le boucher prend le paquet lui coupe la viande et la lui rend en la ré-emballant dans un sachet plastique.
On pourrait pas organiser une solidarité pour les personnes qui ne peuvent pas s’en sortir ? Laisser des numéros de téléphone et des annonces aux caisses des magasins par exemple ? Et au plus proche, dans vos immeubles…
Plus loin au rayon fromage une jeune femme arrive et dit d’un air dépité à un jeune homme avec qui elle fait les courses « y a plus d’œufs… » je les regarde et leur dit « en face ils en ont ».
Les courses ça se passe comme dans la rue, je suis pas là en train de flâner, tout le monde fait vite et la précipitation ça donne ce genre de chose… acheter une boîte de 875g de double concentré de tomate au lieu d’une boîte de tomates pelées parce que dans la précipitation j’ai mal lu la boîte.
C’est quoi la meilleure façon de conserver la conserve une fois ouverte ?

Hier sur Facebook quelques personnes ont encore essayé de bouffer mes os, je sais pas ce que s’imaginent certains collègues photographes … Je sors avec un téléphone, chaque photo est faite dans un temps de 5 secondes maxi, je fais pas la même rue 10 fois pour savoir ce que je vais photographier.. je vois je prends la photo et je continue.
Je suis pas en train de faire une pause longue sur la plage interdite en mettant 3 h à régler mon trépied pour espérer faire une photo bien cadrée.
On en reparlera pas plus tard en fait, parce que le bordel qu’on est en train de vivre est en train de révéler les êtres humains, et ça, ça me fait peur aussi… En tout cas moi, c’est en train de changer mon regard sur certains hommes, ne rien faire, observer, attendre, ça amplifie la réflexion personnelle et en ce moment y a des questions vraiment moches qui traversent mon esprit.



Il paraît qu’à Paris il n’y a plus rien dans le Magasin Tang Frères…
On va en venir à se demander au rayon fruits et légumes si on prend le risque d’acheter des poires qui viennent d’Italie.
Alors je sais il faut consommer local, mais on en vient à se poser des questions chelou en ce moment.
Est-ce ça le début du nationalisme ? Acheter des Barilla ou des Panzani ?
En France on verbalise les SDF pour non respect des consignes pendant que Rome décide de pardonner les péchés de ses fervents qui sont contaminés contre une lecture de la bible pendant 30 minutes.
Je croise de moins en moins de monde dans la rue, des couples qui vivent sans doute ensemble, et des hommes seuls… et ce qui me choque c’est l’absence des femmes dans la rue. L’espace public appartient aux hommes, et en période de confinement ça crève les yeux.




Je m’arrête devant L’arche des fromages, elle me dit que désormais elles fermeront la boutique l’après-midi car il n’y a personne en ville, la fromagerie (c’est aussi une épicerie fine) sera désormais ouverte du mardi au samedi, uniquement le matin et les commandes sont possible, d’ailleurs elle me laisse car elle vient d’en recevoir une.
Une femme fume à sa fenêtre, je souris en passant, elle me regarde et s’éloigne. Ailleurs on entend des bruits de travaux, des discussions sortent des appartements. En dehors de ça, c’est silencieux, et je ne sais pas si je m’habitue au silence mais il me parait moins angoissant que celui d’hier… tous les silences n’ont pas le même son. Vous avez remarqué ça vous aussi ?
Arnaldo, le glacier Italien de la rue Lamartine propose des livraisons de glaces, et l’épicerie O p’tit marché propose également des livraisons à domicile et fait relais colis, il récupère également les colis qui devait arriver chez Vert’Tige de Fleurs. Pour lui la denrée la plus rare en ce moment, ce sont les œufs.




Je retourne sur mon île deserte en passant par le miroir aux oiseaux, décidément ce petit endroit semble tellement protégé. On prend le soleil devant les maisons, on prend l’air, on a la sensation de se retrouver dans une bulle juste à cet endroit.
Sur le quai devant chez moi, on peut voir le pollen flotter, c’est parti pour quelques semaines d’allergies…

Le soir on écoute de la musique et pour les fins de soirée difficile on s’est dit que ce serait sympa de partir à la redécouverte des chanteurs morts alors on a fait des petits papiers à piocher pour laisser le hasard choisir.
Est-ce qu’au 44eme soir on craindra plus rien à s’en faire l’intégrale de Barbara ?




Pendant que le soleil se couche, je plante des glaïeuls, la sauce tomate pour les lasagnes (présentes dans le placard depuis plus d’un an) est en train de cuire et j’ai fait des gâteaux poire/caramel.
Nous sommes samedi soir, il est 20h, les gens applaudissent depuis leurs fenêtres, un homme joue de la batterie et fait résonner la ville.
Ce soir comme chanteurs morts on a pioché Jeanne Moreau et Joe Dassin, un couple étonnant.