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Fragments

2023

Témoignage de Lila, gérante de l’hôtel 45 ans

Et puis un matin elle n’était plus là et lui non plus, plus de camion, aucune trace d’eux.
Je m’étais même demandé si ils avaient vraiment existé, pourtant sur le bureau de la chambre il est resté quelques feuilles arrachées d’un carnet.

D’une écriture féminine, elle avait raconté cette parenthèse, ce passage dans mon hôtel, cette vie dans cette ville, des mots couchés les uns contre les autres comme pour guérir de quelque chose dont je ne saurais rien. Mais… est-ce important ?

Je me souviens de ce soleil qui brûlait en elle, transperçant les nuages. Il est possible qu’une fois la douleur ultime atteinte, plus rien ne pourrait venir toucher cette femme.

Ils sont sans doute partis ensemble, ne laissant que quelques mots sur quelques feuilles volantes. Ils se sont envolés au gré du vent qui les portait.

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Je ne sais plus trop comment je me suis retrouvée ici, dans cette station essence, sur l’autoroute, un no man’s land.

L’image tremble et tangue et j’ai du mal à la fixer. Elle vibre, me trouble la vue comme lorsque le bitume brûle sous le soleil d’août.

Je faisais du stop à la sortie de l’aire de repos, un camion blanc s’est arrêté, l’homme à l’intérieur m’a demandé si ça me disait qu’on fasse un bout de route ensemble, que je devrais faire attention car il y a des gens malintentionnés par ici.

Au fil des kilomètres on partage des bribes de vie. Sur la route on a pas grand-chose à perdre, à part soi-même.

Cette nuit là, on a fait un stop dans un village. Là-bas le temps semblait figé comme sur une carte postale et malgré la présence d’un hôtel, on avait la sensation qu’il n’avait pas vu d’étrangers depuis longtemps.

C’était le printemps.

J’égraine les pétales des pâquerettes pendant qu’il compte les étoiles filantes au fond de mes yeux.


Sur le parking de l’hôtel un homme pêche dans une piscine gonflable.

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Les kilomètres défilent, en kaléidoscope, on décompte nos blessures, les amours, les amis perdus, ceux qu’on a vécu, nos fêtes et nos défaites.

Des séismes secouent mon cœur qui s’aligne au sien, et se fondent dans son exquise douleur.

Il m’a offert un caillou en forme de coeur comme le font les manchots en Antarctique.

On se comprend. On porte un masque sur nos blessures d’avant. On les fait disparaître d’un seul geste, friables, elles disparaissent dans l’air que l’on respire. Je ne veux laisser subsister que l’espoir naissant dans cet instant hors du temps.

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Le soleil est brûlant. On est arrêtés depuis quelques jours dans cet hôtel. On peut trouver ici des filles du Sud qui prêtent leurs services contre quelques billets.

 l’entrée de l’accès aux chambres, Lila est postée chaque jour, elle attend les clients, veille sur les filles, elle compte aussi les voitures qui défilent.

Je suis les rayons du soleil pour ne pas subir l’ombre qui semble planer sur ce lieu.

Il boit une bière, moi, un coca et je me perds dans mes pensées et dans la langueur de la promesse des jours d’été.

Le vent se lève, le ciel bleu vire au blanc et le temps semble tourner à autre chose.
Avant la pluie, le vent fait chanter le carillon.

Les notes de musique laissent en nous subsister un espoir tel un été invincible même lorsque la neige s’immisce au cœur d’avril.

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Cette nuit le ciel a tourné de l’azur au blanc pur.
À l’horizon tout est blanchi, on ne distingue plus vraiment les arbres, et l’on confond le ciel et la terre sur la ligne d’horizon.

On laisse nos empreintes sur le sol, on se rÉveille tard dans la nuit pour voir si la neige tombe encore.


Emmitouflés sur la terrasse nous n’attendons que le retour des beaux jours.

J’ai peur d’oublier les lueurs de ces instants de joie, d’oublier la complicité, l’alliance et la liberté.
Il murmure au son des flocons qu’il faut profiter de l’instant, il me dit de rester dans son présent, il promet que demain sera plus simple, moins effrayant.

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On évoque les fêtes, les soirées les amis disparus, ceux qui sont restés qu’on ne voit plus, jamais plus.


Et les danses et les transes, l’évidence de s’être connu, avant, dans d’autres lieux, sous d’autres toi.

Dans la nuit on tente de tisser nos liens pour ne plus se perdre en chemin. Il me voit pleurer un peu, il me dit que l’eau fait renaître la nature après la sécheresse, que les larmes, ça arrose les jolies fleurs comme moi, que sans ça je ne pousserai pas, je n’existerai même pas, qu’il devrait alors me rêver pour pouvoir ensuite m’inventer.

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J’aimerais qu’on s’aime jusqu’à plus d’air. Il devient mon équilibre, ma terre ronde.

Les avions cargo dans l’azur me font voyager bien au-delà des cimes.


Le ciel est redevenu bleu.

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Le temps d’une seconde il peut se passer mille choses, un cataclysme d’émotions, un instant figé dans lequel se trouvent les réponses aux questions que l’on ne se posait même pas.

Il y a l’étreinte, les baisers dans le cou, au milieu de la masse de mes cheveux, il y a un recul pour mieux se voir, reprendre ce souffle qui se perd au milieu des larmes.

Il y a cette seconde, ce face-à-face, une pause avant que l’on s’embrasse. Il y a l’après, les minutes, les heures, et ces jours qui créent le recul du film que l’on se fait, et je suis là, à me demander si tout était réel.

Si rien n’a été inventé ou transformé par nos mémoires si faillibles.


Est-ce que le cœur s’emballe pour de vrai ?

Tant de questions viennent traverser mon esprit jour et nuit.


Est-ce lui que j’attendais ou lui qui me cherchait ?

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